Inquiétante Médée |
Inquiétante, tout
de suite. Et pourquoi ça ? Parce que j’ai tué mes enfants. On ne retient
que cela de moi. Mes sortilèges, mes enchantements, mon désir de femme, ma
douleur d’épouse… tout ça n’existe pas. Vivre si longtemps pour n’être réduite
qu’à un seul acte… qu’on interprète de malheureux, d’effroyable, de
regrettable, mais jamais d’enviable, de louable, de libérateur. Un acte banal,
pourtant. Le seul acte humain que je me suis abaissée à commettre, car la mort
n’a pas besoin de magie pour s’exécuter. Infanticide,
voilà ce qu’on chuchote lâchement à mon passage. Est-ce bien cela qu’on me
reproche ? Ou bien est-ce d’avoir osé préférer la femme à la mère ?
Il faudrait la faire taire, celle-là, lui faire croire que sa présence est
déplacée, qu’elle est coupable d’obscénité. Eteindre le feu de la chair et la
transformer en garde-manger, en gardienne de la nuit, en sac à lait, j’ai
testé… et je n’ai pas aimé. Alors je me suis débarrassée du rôle déplaisant.
Une mère sans enfants peut-elle encore l’être ? Non, évidemment… à moins
qu’elle ne persiste à vivre dans le passé. Qu’elle meure donc, accrochée à la
dépouille de ce qui n’est plus… quant à moi, je vivrai ! Car je brûle de
désir pour la vie… Supprimer l’engeance pour ne plus être l’unique responsable de
créatures que je n’ai pas voulues seule, voilà ce qui s’appelle responsabilité.
Tuer, plutôt que de laisser périr, n’est-ce pas charitable ? Car il les
aurait oubliées, le père distrait. L’adultère est une activité prenante, on ne
peut pas tout gérer. Mais puisque la mère est là, puisqu’elle s’occupe de tout…
pourquoi s’en faire ? Qu’une seule s’inquiète, c’est suffisant. Ainsi
l’autre n’a-t-il pas besoin de bouder son divertissement. Que l’un des deux
s’amuse, au moins… Le père s’est-il déjà soucié de tuer l’amant ?
Puisqu’ils ont chacun leur territoire, ce n’est pas gênant, non ? Il
suffit de s’aménager des horaires, de s’autoriser quelques petits arrangements.
Avec sa conscience, il sait le faire, Jason, comme ses aînés inconséquents. Pas
moi, je suis entière et je dis non à l’infâme trahison. Qu’on m’appelle l’intrépide, la juste, la guerrière…
mais pas l’inquiétante car jamais je
n’avance affublée du masque étrange de la comédie des gens.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire