Ne pas avoir la langue dans sa poche |
Personne ne devrait laisser sa langue dans
sa poche. C’est dangereux, on ne sait jamais: imaginez qu’elle reste coincée au
fond du puits de coton… ce qui semble confortable peut rapidement devenir
asphyxiant. Et puis les langues sont comme les poissons, elles ont besoin de
flotter tranquillement. Elles aiment sortir la tête de l’eau, faire des
cabrioles, s'en retourner batifoler dans leur milieu naturel. Ainsi
répugnent-elles à ce qu’on les enferme: elles ne sont pas nées pour vivre en
cage et supportent très mal, comme n’importe quel animal, les règles de l'enclos.
Elles tomberont malades si on les y contraint, soulèveront les microbes, infecteront
la gorge, fabriqueront des angines, détraqueront thyroïde et amygdales en guise de
rébellion maligne. La langue est rancunière et
se venge sans culpabilité de celui qui cherche à la menoter. Voilà pourquoi tant
d’hommes n’ont pas la langue dans leur poche: craignant les représailles de la
justicière, ils préfèrent lui laisser un
pouvoir autoritaire. Mais la peur ne règle pas les conflits intérieurs: en
mauvais guide, elle conduit par erreur à des situations malsaines. Se sachant
redoutée, la langue toute puissante se croira la nouvelle tête pensante: elle
parlera sans arrêt et sur tous les sujets pour justifier sa souveraineté. Si
elle ne cesse de briller en effet, on la laissera sans doute régner en
paix. Elle raconte, elle converse, elle
explique, elle débat, elle se contorsionne et ne s’arrête pas. Elle grossit, se
montre, en oublie le bonheur des instants de détente et d’ennui. Devenue une
machine bien rôdée, elle ne sait plus se retirer dans le silence ressourçant de
la bouche désertée. Coupée de sa source, elle se vide petit à petit de la magie
des mots habités.
Ne craignez ni votre langue ni son silence ou vous
finirez un jour par le payer… Tous deux comme chacun ne demandent qu’à être
aimés.
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